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La revue de la directive AIFMD : simple toilettage ou revamping réglementaire ?

© mixmagic

Lors de son entrée en vigueur en 2011, la directive AIFM (Alternative Investment Fund Managers) poursuivait deux objectifs majeurs : réguler la gestion et la distribution des fonds d'investissement alternatifs (AIF) dans l’Union Européenne et lutter contre les risques systémiques liés à la gestion alternative. Bien que les résultats semblent atteints, des progrès subsistent encore dans un certain nombre de domaines.

En effet, si le rapport d'examen de la Commission européenne adressé au Parlement européen et au Conseil le 10 juin 2020 a bien conclu que l'AIFMD a effectivement contribué à créer un marché européen des fonds d'investissement alternatifs (FIA) avec un niveau élevé de protection des investisseurs et une surveillance renforcée des risques pour la stabilité financière, il constate des points d’amélioration.

Notons que cette consultation fait également suite à la lettre de l'ESMA (European Securities and Markets Authority) à la Commission européenne en août 2020 dans laquelle elle émet des recommandations concernant les régimes AIFM et OPCVM qui nécessitent, à son avis, une «harmonisation» et / ou une «clarification», et établit la liste des questions importantes à prendre en considération lors de la révision de la directive AIFM.

Corinne Socha-Michel« Il convient de rappeler que cette révision est un exercice imposé par l'article 69 de la directive qui invite la Commission à réexaminer le champ d'application de la directive AIFM, à évaluer l'impact de la directive sur les investisseurs, les FIA et les gestionnaires de FIA dans l'UE et dans les pays tiers, et à déterminer dans quelle mesure les objectifs de l'AIFM ont été atteints », précise Corinne Socha, Group Head Depositary Control à CACEIS.

Cette consultation publique est donc la première étape de cet examen formel de la directive et vise à recueillir les points de vue des acteurs concernés, notamment des gestionnaires de fonds, des distributeurs, des représentants de l’industrie, des régulateurs, des investisseurs et des associations de protection des investisseurs. Les parties prenantes intéressées peuvent répondre à la Commission d’ici le 29 janvier 2021. Elle pourrait également constituer le premier pas vers une harmonisation des régimes OPCVM et AIFM dans l’UE et un cadre législatif unique.

« La consultation couvre un grand nombre de sujets et donne par conséquent un aperçu limité de l’orientation future de la Commission européenne. Une phrase introductive donne cependant quelques suggestions - la Commission cherche à améliorer « l'utilité du passeport AIFM et la compétitivité globale de l'industrie des FIA de l'UE », commente Corinne Socha. « Par conséquent, les questions transfrontalières et les règles du jeu équitables figurent probablement en bonne place dans l’agenda ».

Sept thématiques sont abordées, rassemblant pas moins de 102 questions :

  1. Le fonctionnement du cadre réglementaire de l’AIFMD, son champ d’application et les exigences en terme d’autorisation : cette section comporte des questions sur l’amélioration du passeport AIFM et sur l’existence de règles de concurrence équitable entre les gestionnaires européens de FIA et les autres intermédiaires financiers ;
  2. Protection des investisseurs : la Commission demande s'il est possible de permettre l'accès aux FIA à un périmètre plus large d'investisseurs, si les informations obligatoires fournies aux investisseurs sont redondantes ou insuffisantes, si les règles sur les conflits d’intérêts ou les règles d’évaluation instaurées par la directive sont adéquates, enfin si les règles du dépositaire doivent être clarifiées en notant qu'un passeport dépositaire serait souhaitable ;
  3. Relations internationales : cette section interroge sur les gestionnaires de FIA non-UE et les régimes nationaux de placement privé, et sur les règles de délégation et la prévention des structures/entités « boîtes aux lettres » dans l'UE ;
  4. Stabilité financière : cette section se concentre sur l'exposition des fonds aux marchés des prêts à effet de levier et des obligations garanties, et des méthodes de calcul de l'effet de levier ;
  5. Investissement dans les sociétés privées : la Commission demande si les règles AIFMD relatives aux fonds alternatifs investissant dans des sociétés privées et les règles de "démembrement des actifs" qui y sont associées sont adaptées à leur objectif ;
  6. Finance durable/ESG : la Commission demande si les gestionnaires devraient quantifier les risques liés à la durabilité et si les gestionnaires devraient être tenus de prendre en compte les impacts liés à la durabilité au-delà de ce qui est actuellement exigé par la législation européenne ;
  7. Divers : cette section se concentre sur le rôle et les pouvoirs du régulateur européen des régulateurs, l’ESMA, et sur la question de l’autorisation et de la supervision de tous les gestionnaires européens. Elle demande également si les règles relatives aux OPCVM et aux gestionnaires de fonds d'investissement alternatifs devraient être fusionnées.

Concernant plus particulièrement le régime des établissements dépositaires, la consultation traite plusieurs sujets :

  • L’exclusion des véhicules de titrisation de la directive AIFM, alors que la France fait figure d’exception avec les OFS et les OT ;
  • L’exclusion des fonds d’épargne salariale de la directive AIFM alors que le contexte spécifique au marché français des FES les identifie clairement comme des FIA ;
  • La relation de délégation entre le dépositaire et les Triparty Collateral Manager et Prime Broker qui a soulevé de nombreuses difficultés et incompréhensions chez les acteurs lors la mise en œuvre du Règlement Délégué de niveau 2 sur la délégation de la garde des actifs ;
  • Et enfin l’opportunité d’un passeport dépositaire européen.

Avec ces travaux de refonte de la directive AIFM, la question de la création d’un passeport dépositaire a été relancée. La Commission européenne, poursuivant son objectif d’achèvement de l’Union des Marchés de Capitaux, considère que le fait qu’une entité puisse uniquement agir en tant que dépositaire des fonds du pays dans lequel elle est domiciliée va à l’encontre du principe de libre établissement et de libre prestation de services et d’une saine concurrence sur le marché. Les pouvoirs publics européens souhaitent donc, à l’occasion de la refonte de la directive AIFM, proposer la mise en place d’un passeport dépositaire européen permettant à un dépositaire établi dans un État-membre de proposer ses services dans l’ensemble de l’Union.

Eliane Meziani« La création d’un passeport dépositaire européen nous apparaît prématurée en raison des risques que cela entraînerait, non seulement pour les investisseurs mais également pour le marché », commente Eliane Meziani, Senior Advisor - Public Affairs à CACEIS.

L’engagement fort des autorités européennes en faveur de la protection des consommateurs s’est traduit ces dernières décennies par la mise en place d’un ensemble de politiques et de règles leur garantissant une protection importante et de nombreux droits. Plus récemment, cet engagement s’est matérialisé par l’adoption, le 13 novembre dernier, d’un nouvel agenda du consommateur pour les 5 années à venir.

Cette attention portée à l’égard de la protection du consommateur européen doit aussi prévaloir dans le domaine financier et en particulier pour les petits investisseurs. En effet, la création d’un passeport dépositaire à l’échelle de l’Union éloignera de fait les investisseurs les plus modestes du dépositaire de leurs investissements. Elle représente ainsi un danger pour les droits de ces investisseurs qui, confrontés à une situation où ils souhaiteront faire valoir leurs droits à l’égard du dépositaire, verront leur tâche se complexifier par la nouvelle distance existant entre eux et le dépositaire qui pourra opérer depuis un pays autre.

« La mise en place d’un passeport dépositaire permettant d’opérer dans l’ensemble du marché commun impliquera nécessairement un relâchement de la surveillance des fonds qu’effectue les dépositaires », complète Eliane Meziani. En effet, afin de remplir les obligations afférentes à sa qualité de dépositaire, celui-ci doit pouvoir mettre en place une organisation et des processus opérationnels adaptés. Pour cela, le dépositaire se doit non seulement de connaître mais également être capable d’interpréter et d’intégrer par la suite dans ses processus opérationnels l’ensemble des règles nationales applicables aux fonds dans le pays où il opère. Pour ce faire, un dialogue constant et de qualité doit exister entre le dépositaire, les autorités locales et les associations professionnelles nationales représentant les gestionnaires d’actifs.

« Le risque induit par la création d’un passeport dépositaire au niveau communautaire, déjà identifié lors de la mise en place du passeport Gestion, est donc celui d’un manque de connaissance et de compréhension des règles appliquées au niveau domestique (et a fortiori du marché), du fait de la difficulté pour un dépositaire de maitriser en profondeur les normes en vigueur dans l’ensemble des États-membres », explique Corinne Socha.

Cet éloignement entre le dépositaire et le régulateur entraînera d’importantes conséquences pour ce dernier puisque la mise en place du passeport dépositaire forcera le régulateur national à contrôler des dépositaires qui ne relevaient jusque-là pas de sa compétence. Émerge alors un risque de baisse du niveau des contrôles au détriment des investisseurs, ainsi qu’une fragilisation des dispositifs de sanctions de par le caractère transnational de l’activité du dépositaire.

Le risque que la mise en place d’un passeport dépositaire aboutisse à un résultat opposé à celui recherché par la Commission est également important. En effet, alors que les pouvoirs publics européens souhaitent, par l’intermédiaire de ce passeport dépositaire, limiter les risques de concentration et mettre fin à des situations quasiment monopolistiques dans certains pays, le passeport dépositaire pourrait au contraire entraîner la concentration de l’offre sur certains pays au détriment de la qualité de la surveillance et de la concurrence. Cela pourrait même in fine mener à la constitution en Europe d’un oligopole puisque les acteurs les plus influents sur le marché seraient en capacité de s’introduire dans l’ensemble des États-membres de l’UE sans devoir au préalable constituer une filiale locale les amenant ainsi à supplanter les acteurs locaux plus modestes.

« Dans la continuité du raisonnement précédent, il faut aussi évoquer le risque d’arbitrage vers des pays et des dépositaires « meilleur marché ». S’ajoute à cela la naissance d’un risque de contournement de la part des pays tiers (en particulier du Royaume-Uni dans un contexte politique post Brexit) », considère Eliane Meziani.

Enfin, dans la situation actuelle, la question de la mise en place d’un passeport dépositaire ne semble pas répondre à un souci de développement du marché européen des FIA. En effet, les statistiques sur la croissance de ce marché depuis la mise en place de la directive AIFM montrent que son développement n’est aucunement affecté par l’absence d’un passeport dépositaire.

La consultation ouvre également la voie à une régulation dans la prise en compte des risques extra-financiers (durabilité – ESG) dans la gestion des FIA suite aux accords de Paris et de la contribution des marchés financiers aux objectifs de développement durable.

« La consultation de la Commission, et la révision attendue, devraient aboutir, à notre avis, non pas à des changements majeurs, mais plutôt à la définition d’un cadre protecteur renforcé pour le marché des gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs, à une stabilité et une harmonisation des régimes en vigueur. En effet, nous nous orientons vers une clarification des relations et rôles des intermédiaires et peut-être vers une harmonisation entre les régimes OPCVM et AIFM », conclut Corinne Socha.

La prochaine étape est attendue au troisième trimestre 2021 avec une proposition législative visant à modifier la Directive AIFM.

Dates clés de la directive AIFM :


21 juillet 2011 :
entrée en vigueur.
10 janvier 2019 : publication par la Commission européenne du rapport KPMG sur la directive AIFM.
10 juin 2020 : la Commission publie son propre rapport à destination du Parlement européen et du Conseil sur l'application et la portée de l’AIFMD.
18 août 2020 : l'ESMA envoie une lettre à la Commission pour recommander des sujets à inclure dans la révision de la directive AIFM.
22 octobre 2020 : la Commission lance la consultation relative à la revue de la directive AIFM.
29 janvier 2021 : date limite pour répondre à la Commission.
Prochaine étape de la revue de la Directive AIFM : une proposition législative visant à modifier la Directive AIFM est attendue au troisième trimestre de l’année 2021.

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