La maîtrise de la donnée apparaît aujourd’hui comme un enjeu majeur de l’industrie des services financiers. Fragmentée, de qualité variable et parfois en nombre très insuffisant en particulier sur l’ESG (données Environnementales, Sociales et de Gouvernance), l’information financière et désormais extra-financière fait l’objet d’une grande attention de la part des institutions européennes et des acteurs de marché. Zoom sur la dernière initiative de la Commission européenne, attentivement suivie par CACEIS, le point d’accès unique européen (ESAP).
Le contexte
Depuis septembre 2020 et l’annonce par la Commission européenne de sa volonté – dans le cadre de la mise en place de l’Union des marchés de Capitaux (CMU) – de procéder à « la création d’une plateforme à l’échelle de l’UE (point d’accès unique européen) permettant aux investisseurs d’accéder en continu aux informations financières et aux informations en matière de durabilité des entreprises. »,[1] le monde de la donnée financière et extra-financière est en ébullition.
En effet, le point d'accès unique européen (ou ESAP de l'anglais European Single Access Point) apparait aujourd’hui comme l’une des initiatives les plus fortes des pouvoirs publics européens en matière de services financiers. Née de la rencontre des objectifs en termes de numérisation de la finance, de respect des engagements climatiques auxquels l’Union s’est astreinte dans le cadre de son Green Deal[2], d’amélioration de la compétitivité des entreprises européennes et de transparence vis-à-vis des investisseurs, la plateforme ESAP nourrit de nombreuses ambitions et entend palier un certain nombre de faiblesses du marché intérieur en termes de données.
Pour la Commission européenne, le marché intérieur de la donnée souffre toujours d’un certain nombre de handicaps tels que la fragmentation des données entre de multiples bases de données nationales et européennes, et les difficultés d’accès à ces dernières du fait de leur coût et de la situation de quasi-monopole des fournisseurs dans le secteur. À ces premiers obstacles d’accès s’ajoutent ensuite des difficultés d’exploitation liées au manque de standardisation des données à l’échelle de l’UE et de l’usage prépondérant du format PDF. Enfin, en termes d’ESG, le marché européen est encore en grande partie immature, générant une pénurie de données extra-financières en raison d’une demande très forte et d’une offre largement insuffisante.
La prise de conscience des faiblesses structurelles du marché communautaire de la donnée a donc poussé la Commission à agir et à consulter, du 20 janvier au 12 mars derniers, les acteurs des services financiers européens sur leur vision de ce que devrait être l’ESAP.
CACEIS, en sa qualité d’acteur majeur de l’asset servicing, a participé à cette consultation et a suivi de près les premiers enseignements dévoilés par la Commission.
Pourquoi CACEIS a répondu à cette consultation sur l’ESAP ?
La directive européenne « Transparence » (2004/109/CE) impose déjà aux acteurs de l’industrie d’assurer le reporting de nombreuses informations financières (rapport annuel, semestriel, etc.).
En France par exemple, ces dernières sont centralisées par la Direction de l’information légale et administrative via son site : info-financière.fr.
Il est alors logique de s’interroger sur la nécessité de mettre en place cette nouvelle plateforme. Ne fera-t-elle pas doublon avec les systèmes nationaux en place ? Ne suffirait-il pas de doubler ce dispositif en y incluant l’information extra-financière sans créer de nouvelle plateforme ?
Rodolphe Carissimo, Junior Advisor - Public Affairs à CACEIS, souligne que « l’ESAP n’a pas pour but d’exiger la divulgation d’informations nouvelles, ni d’en modifier le contenu ; elle ne crée pas d’obligation de transmission de nouvelles informations pour les acteurs financiers mais uniquement une nouvelle forme de collecte et de traitement de l’information existante ».
« Cet objectif très ambitieux intéresse CACEIS dont le besoin en données fiables et de qualité est évident dans le cadre de la délivrance de prestations de services et de reporting à ses clients », explique Eliane Méziani, Senior Advisor - Public Affairs à CACEIS.
La plateforme ESAP, en centralisant l’ensemble des données au niveau européen et en imposant des standards de qualité et de format communs, concourra à cet objectif de qualité et de fiabilité. Elle permettra, par la même occasion, de contrer le monopole actuel des agrégateurs de données qui, de par leur position hégémonique sur le marché de la donnée financière, représentent aujourd’hui un coût important, aussi bien pour CACEIS que pour tous les autres acteurs.
En remédiant au problème actuel de la fragmentation de la donnée financière et extra-financière, l’ESAP constituera ainsi un outil de premier ordre pour CACEIS et pour ses équipes, en particulier celles de la division Market Data dirigée par Florent Boucheron. Elle permettrait de réduire drastiquement les coûts (de l’ordre de 10 à 20%) et de soutenir le développement de nos produits.
C’est pour ces raisons que CACEIS a souhaité répondre à la consultation de la Commission européenne dans le cadre d’un groupe de travail animé par le Crédit Agricole, celui de Market Data de l’AFTI (Association Française des Professionnels de Titres).
Quels sont les enseignements de cette consultation ?
La Commission a présenté les résultats ces dernières semaines. 183 répondants à la consultation ont permis de tirer les enseignements suivants.
Dans l’ensemble, les réponses apportées par CACEIS coïncident avec celles de la majorité des répondants. « Néanmoins, nos avis divergent concernant deux sujets particuliers : la consultation des données de l’ESAP en accès libre et le caractère volontaire de la transmission d’informations par les PME à la plateforme » , explique Eliane Méziani.
Sur le premier point, si CACEIS estime en effet que les utilisateurs devraient disposer d’un accès libre à la plateforme ESAP, une nuance doit toutefois être établie entre ceux qui utiliseront l’ESAP pour se conformer aux obligations de reporting requises par la législation communautaire dans le cadre de leurs services traditionnels, et ceux souhaitant utiliser l’ESAP à des fins purement agrégative dans le but de constituer des bases de données externes. Les premiers devraient effectivement disposer d’un accès libre et gratuit pour se mettre en conformité avec les dispositions européennes et opérer dans le cadre habituel de leurs activités quand les seconds devraient, quant à eux, être assujettis à un droit d’entrée et d’usage pour accéder à la base de données.
Sur le second point, CACEIS considère que les PME devraient être plus fortement intégrées à l’ESAP, notamment concernant les données extra-financières. En effet, s’en remettre uniquement au volontariat dans la transmission d’informations par les PME à l’ESAP nous apparaît peu opportun et même contre-productif pour ces structures, car elles seraient les premiers bénéficiaires de l’inclusion à l’ESAP en développant leur visibilité vis-à-vis des investisseurs. La maîtrise de ces données extra-financières assurera d’autant plus leur inclusion dans l’écosystème financier et facilitera les échanges avec des structures plus établies auprès desquelles les PME viennent traditionnellement chercher du soutien. C’est pour cela que la position de CACEIS et du groupe Crédit Agricole penche vers la mise en place d’une inclusion nette des PME dans le champ d’application de l’ESAP (pour les données extra-financières) dans un cadre simplifié et soumis à des obligations proportionnées.
Sur les autres questions posées par les pouvoirs publics européens, les réponses de CACEIS ont coïncidé avec l’opinion de la majorité des répondants. « C’est ainsi que sur la question des bénéfices à attendre de la plateforme ESAP, CACEIS et le groupe Crédit Agricole ont estimé que celle-ci serait une avancée pour nos métiers, tout en prenant en compte le coût d’introduction de ce nouvel outil » , explique Rodolphe Carissimo.
À l’instar de la majorité des répondants à la consultation publique, CACEIS s’est fermement positionné sur l’exigence de qualité des informations au sein de la plateforme. Florent Boucheron, Group Market Data Manager, précise ainsi : « pour que l’écosystème financier européen puisse véritablement bénéficier de cette initiative, la plateforme ESAP devrait donner accès à une information de haute qualité en se basant sur la confiance dans les contrôles de qualité des émetteurs de données, comme cela se fait habituellement. ».
Enfin, CACEIS a souhaité mettre l’accent sur la nécessité d’inclure dans le périmètre de l’ESAP les informations issues de textes législatifs européens, telles que celles de la directive NFRD (désormais CSRD), du règlement Benchmarks, de la directive SFDR et de la Taxonomie européenne.
En conclusion
La consultation de la Commission européenne sur la plateforme ESAP a constitué pour CACEIS une excellente opportunité de faire entendre la voix de ses clients sur les orientations que devra prendre ce futur outil européen. Les enjeux liées aux données financières et désormais extra-financières sont de premier ordre et l’Union européenne, en se dotant d’un service d’agrégation des données comparable à ce qu’est aujourd’hui la plateforme EDGAR (Electronic Data Gathering and Retrieval) aux États-Unis, affiche fermement sa volonté d’encadrer le marché européen de la donnée afin d’en assurer la stabilité et l’efficience et de prévenir toute tentation oligopolistique sur celui-ci.
« CACEIS aura à cœur de poursuivre son implication sur ce nouvel outil en accompagnant les travaux de la Commission sur l’ESAP. Ils devraient aboutir à l’adoption des textes réglementaires régissant la plateforme au cours du 4e trimestre 2021, pour un déploiement à l’orée de 2024 » , confirme Eliane Méziani.
[1] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=COM:2020:590:FIN
[2] https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/european-green-deal_en