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© Feydzhet Shabanov

En 2022, le gouvernement britannique, par la voix de son Premier Ministre Boris Johnson, a dévoilé sa claire intention de s’affranchir progressivement du cadre législatif européen en matière financière, en proposant un nouvel ensemble de mesures plus agiles. Quelles sont les perspectives pour le Royaume-Uni et l’UE ?

Cette annonce intervient dans une situation paradoxale, car bien que le secteur financier représente plus de 10% du revenu fiscal britannique et plus d’un million de salariés, il apparaît comme le grand oublié de l’accord de commerce et de coopération négocié entre l’Union européenne (UE) et le Royaume-Uni. Qui plus est, le Memorandum of Understanding sur les services financiers, conclu en mars 2021 entre les deux parties, n’apporte guère plus d’informations si ce n’est un accord-cadre – ni formellement ratifié, ni entré en vigueur - et quelques mesures d’équivalence.1.

Ce « no deal » pour le secteur financier assure donc au Royaume-Uni une marge de manœuvre pour adapter, assouplir voire supprimer un certain nombre de normes de l’UE pesant sur les acteurs financiers d’Outre-Manche : avantages ou contraintes ?

ADAPTABILITE ET FLEXIBILITE, LES DEUX MOTS D’ORDRE DES POUVOIRS PUBLICS BRITANNIQUES

Pat Sharman - Country Managing Director, UKLe constat est sans appel, comme le précise Pat Sharman – Country Managing Director de CACEIS au Royaume-Uni : « Face à la réglementation européenne, la législation locale pourrait offrir plus de souplesse au secteur des services financiers. Il s'agit d'un équilibre très délicat. Bien que l'accent doive être mis sur le maintien de la compétitivité de notre secteur après le Brexit, je pense que le maintien d’une forme d’harmonisation reste essentiel. Cela deviendra de plus en plus évident au fur et à mesure que l'accent sera mis sur les risques ESG et climatiques. »

Le gouvernement britannique, dans sa volonté d’adapter la réglementation financière, a adopté des mesures aux répercussions pratiques dans le domaine financier.

Des décisions ont d’ores et déjà été prises comme la suppression d’un certain nombre d’obligations dans les reportings réglementaires - RTS 27 et RTS 28 dans le cadre de MiFID II, le 1er décembre 2021. Elles démontrent le souhait du Royaume-Uni de se distinguer des normes européennes. Pat Sharman confirme : « Il est probable que le Royaume-Uni continue sur cette voie afin de donner un avantage concurrentiel significatif aux entreprises qui s'y installent. Toutefois, le découplage de la réglementation de l’UE doit être mûrement réfléchi car le maintien d’un accès de qualité à ces marchés reste primordial pour les gestionnaires d'actifs basés au Royaume-Uni».

Le souhait d’assouplir certaines réglementations pour accélérer leur implémentation permet incontestablement d’avoir une longueur d’avance sur l’appareil décisionnel européen.

Eliane Meziani - Senior Advisor-Public AffairsAinsi, l’ambition d’être « the world leader in green finance » émise par Boris Johnson et répétée par le Chancelier de l’Échiquier Rishi Sunak devant le Parlement et les leaders de l’industrie bancaire en matière de politique ESG, pourrait constituer une opportunité de choix. Face à la complexité des textes de l’UE et la relative lenteur de la mise en place de standards à l’échelle de l’UE, la City pourrait réussir à se positionner comme l’un des leaders mondiaux. « Si par exemple le Royaume-Uni décide de soutenir les travaux de l’ISSB (International Sustainability Standards Board)) afin d’imposer une norme anglo-saxonne pour l’ESG, cela pourrait constituer un frein à l’émergence d’un standard européen exigeant dessiné aujourd’hui par l’EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group ») estime Eliane Méziani, Senior Advisor aux Affaires Publiques de CACEIS.

L’ÉMANCIPATION TOTALE DE LA REGLEMENTATION EUROPEENNE S’APPARENTE À UNE GAGEURE

Si s’éloigner de la réglementation de l’UE peut générer plus d’agilité et de compétitivité de la finance britannique, son émancipation peut également entrainer un asynchronisme réglementaire, qui serait défavorable au Royaume-Uni.

En matière d'actifs numériques

Sur le terrain de la « crypto-monnaie ou Digital Assets » qui est un marché vaste et complexe à appréhender dans sa globalité, « l’UE pourrait faire la force » précise Eliane Méziani. Faire cavalier seul en la matière, alors que le Royaume-Uni accusait jusque-là quelques retards sur les réglementations européennes et notamment françaises, peut ainsi faire figure de pari risqué. « Le marché est difficile à encadrer par un État seul. Il est probable que les Britanniques chercheront à marcher dans les pas de la Commission, comme cela semble se dégager du discours du secrétaire d’État au Trésor John Glen,, et à tendre vers une forme d’équivalence avec les lois de l’UE, notamment par la mise en place de consultations publiques, de sandbox, etc. » , commente Eliane Méziani.

En matière de protection de la donnée personnelle (RGPD)

Le Règlement Général de Protection des Données (RGPD), définissant les normes extraterritoriales qui encadrent le plus grand marché de données au monde, est un sujet particulièrement sensible. Il serait périlleux pour le gouvernement de perdre ses équivalences avec ses anciens partenaires européens, comme l’expérimente aujourd’hui les Etats-Unis depuis l’invalidation du « Privacy Shield » en 2020 et en 2015 du « safe harbor ». Le gouvernement américain négocie d’ailleurs à bon train sur de futures équivalences. Rappelons que le marché de l’UE représentait plus de 440 milliards de dollars en 2020.

Au deuxième semestre 2021, la City a mené une consultation pertinente pour évaluer l’ensemble du RGPD. « Exercice dont nous devrions peut-être nous inspirer » commente Eliane Méziani, sur le constat des limites du RGPD face à son incompatibilité avec d’autres directives européennes. À titre d’exemple, la problématique des contraintes RGPD qui pèsent sur un établissement bancaire lorsqu’il doit répondre à une demande d’identification d’actionnaires dans le cadre de la directive Actionnaires (SRD2) ou encore l’enjeu d’articulation avec le futur règlement sur l'intelligence artificielle, lequel est amené à exploiter des données personnelles.

En matière d’application du règlement PRIIPs

Le processus de simplification souhaité par le Royaume-Uni pour les producteurs et distributeurs britanniques – qui consiste dans un premier temps par une prolongation de l’exemption UCITS jusqu’au 31 décembre 2026 - interroge quant au bien-fondé de cet hypothétique progrès. Les acteurs financiers Outre-Manche devront en effet conserver deux canaux de production s’ils sont face à des investisseurs européens, ce qui sera source de surcoûts humains et techniques.

Il conviendra de rester attentif à la revue prochaine de PRIIPs en Europe pour comparer les différences avec les KIDs anglais.

En matière de discipline de règlement dans le cadre de CSDR

Le report de la question des « buy-in »2 est très suivi de l’autre côté de la Manche. En effet, ce refus d’implémentation de la discipline de règlement pour CSDR aura probablement un impact sur la réglementation européenne ou laisse planer ce doute. La révision de ce texte est à venir et la Commission n’a pas encore publié sa proposition. Celle-ci pourrait marquer le retour du régime de « buy-in » ou l’enterrer.

Assisterons-nous à une réelle divergence des prochaines décisions du gouvernement britannique avec la règlementation financière européenne? Il est probable que l’avenir nous le dira rapidement. Quelles que soient les avancées réglementaires de l’un et de l’autre, les marchés resteront connectés et interdépendants et devront s’y plier.

 

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