Malgré les bonnes performances de 2020, la baisse généralisée des rendements oblige les caisses de pension à compenser par une vigilance accrue sur leur structure de coûts. A terme, les solutions digitales leur permettront d’en alléger une bonne partie. Il en va de même pour le choix des véhicules d’investissement, ainsi que pour le contrôle exercé sur ces véhicules. Des économies substantielles sont à réaliser dans ce domaine, comme l’explique ici Philippe Bens.
Quels sont les points clés que vous retenez de l’étude Swisscanto?
Je mettrai d’abord en avant l’intégration des critères ESG. Une caisse sur quatre les a déjà pris en compte dans leur règlement de placement. Le mouvement est donc lancé, mais il reste à voir comment il va se poursuivre. Car l’exercice n’est pas neutre. Entre gestion externe, gestion interne ou gestion mixte, les caisses de pension, selon la façon dont leur portefeuille est structuré, vont devoir consolider l’ensemble des informations que produisent leurs fournisseurs. Il y a là un challenge qui peut se transformer en casse-tête dans la mesure où les caisses ne disposent pas forcément des outils nécessaires pour produire des analyses ESG et avoir par ailleurs une vision globale sur leur portefeuille.
Quel jugement portez-vous sur le secteur des caisses de pension en Suisse?
C’est un marché très important. D’une part, il dépasse les 1’000 milliards de francs et, d’autre part, son système des trois piliers est très souvent cité en exemple, un peu partout en Europe, pour sa stabilité et sa sécurité. Passée cette appréciation assez générale, il faut aussi composer avec le fait que ce système est très dépendant de la capacité de chaque caisse – et elles sont près de 1’500 – à générer de l’alpha et du rendement pour financer les pensions. Dans les environnements de marché qui ont cours aujourd’hui, avec des impacts négatifs sur les taux de conversion, cela n’a rien d’évident. Des contraintes structurelles compliquent un peu plus la donne : il faut pouvoir désormais gérer la transition ESG et la transformation numérique pour compenser ces baisses de rendement, ne serait-ce qu’en réduisant intelligemment les coûts.
Comment expliquez-vous l’importante disparité des rendements entre les caisses de pension suisses?
Pour moi, c’est d’abord une question de diversification. Les caisses ayant une taille plus importante peuvent tendre naturellement, grâce au volume de leurs actifs, à une diversification plus forte. Les caisses plus petites se retrouvent souvent avec des choix plus limités dans leurs investissements, au détriment de la performance.
Pour revenir sur la transformation numérique que vous venez de mentionner, où pensez-vous que les caisses de pension suisses se situent?
C’est très variable d’une caisse à l’autre. Dans la stratégie digitale des caisses, je distingue deux grands axes. Le premier porte bien évidemment sur la relation client, ou ce qu’il convient d’appeler aujourd’hui l’expérience client. Il s’agit de fluidifier les échanges avec les assurés, de leur donner un accès plus large, et en même temps plus intuitif, aux services des caisses. C’est un chantier dans lequel elles se sont quasiment toutes engagées, mais il leur reste encore beaucoup à accomplir.
Le deuxième axe porte sur l’opérationnel. Il est plus complexe. Il s’agit de la façon dont les caisses s’organisent, ou se structurent, pour assurer leurs différentes missions. Au gré des discussions que nous avons avec elles, nous voyons bien que ces caisses reposent trop sur leurs prestataires pour disposer d’une infrastructure complète en termes de gestion. Je n’ai pas l’impression qu’il y ait sur le marché suisse en ce moment des sociétés capables d’aider les caisses à développer leur plateforme. Dans les appels d’offre auxquels nous répondons, il arrive souvent que les caisses n’aient pas d’outils de gestion de risque ou de mesure de performances. Et par un conséquent, elles ont un énorme travail à fournir lorsqu’elles doivent consolider toutes les informations requises pour établir leurs rapports, conformément aux lois.
Comment peuvent-elles mieux exploiter le digital?
Avant de poursuivre sur le digital, je voudrais faire une parenthèse sur les investissements. Je m’étonne toujours que les caisses de pension ne privilégient pas davantage l’option du fonds d’investissement régulé par la Finma. C’est pourtant une solution plus simple – et moins coûteuse – à mettre en oeuvre pour les caisses de tailles petites et moyennes. Le fonds Finma leur permettrait de structurer plus facilement l’ensemble de leurs portefeuilles sans avoir à courir dans tous les sens pour récupérer toutes les données et consolider.
Je voudrais prendre l’exemple des fonds luxembourgeois. Les coûts qui leur sont associés ne sont pas moins élevés qu’en Suisse. Ce serait une erreur que de le croire. La fiscalité est plus lourde qu’elle n’y paraît. Dans le cas d’un fonds luxembourgeois, les règlements fiscaux sont assez pénalisants en raison des accords de double imposition. Le surcoût peut atteindre 100 points de base dans certaines situations. S’ajoutent à cela quelques extras, comme la taxe d’abonnement, de l’ordre de 5 points de base. Selon le choix des véhicules, il y a donc moyen de réaliser des économies substantielles. L’arrivée en 2023 des fonds institutionnels ELTIF, qui ne nécessiteront pas d’autorisation préalable de la Finma, représente un recours que les caisses de pension devront regarder de beaucoup plus près.
Pour revenir sur le digital, quelles doivent-être selon vous les priorités des caisses?
D’abord et avant tout, se concentrer sur la relation avec les assurés et chercher autant que possible à « uberiser » l’usage des services et la consultation des portefeuilles sur tout type de support. Les solutions existent. Ce n’est donc qu’une question de temps. Ensuite, il y a la formation des assurés. En Suisse, ceux qui ont moins de 55 ans, n’ont que des connaissances assez vagues sur la prévoyance, ses tenants et ses aboutissants. En Suède, ils sont beaucoup plus avancés. Tout Suédois qui contribue aux caisses de pension de l’Etat peut investir une partie de ses avoirs selon son choix, en ayant accès à une plateforme de fonds. Ils sont éduqués pour cela dès l’école. En Suisse, où les assurés vont avoir à gérer eux-mêmes une partie de leurs enveloppes de prévoyance, notamment sur la partie surobligatoire, cette formation devient un point essentiel.
Quelles sont les solutions que vous proposez aux caisses de pension suisses avec Caceis ?
Nous sommes des nouveaux venus dans ce monde des caisses de pension, mais CACEIS est présent en Suisse depuis 2007, avec le soutien d’un grand groupe et une offre d’autant plus étendue. Administrer un portefeuille et en conserver les actifs sont typiquement des fonctions que nous remplissons. Nous effectuons déjà ce travail pour des fonds, depuis de longues années, et nous sommes en mesure de le réaliser pour les caisses de pension, avec les calculs et les reportings spécifiques que cela implique. Nous avons également des solutions plus sophistiquées pour les caisses, quel que soit leur mode de gestion : externe, interne ou mixte. Nous sommes capables de les équiper intégralement, en leur installant par exemple un PMS et en assumant l’ensemble du reporting, tant pour la performance que pour le risque ou les mesures ESG.
Quels sont les apports du groupe Caceis ?
Une architecture technique, opérationnelle et fiable, de très haut niveau. CACEIS est l’un des tout premiers asset servicers européens et figure parmi les dix plus grands conservateurs d’actifs au monde. Le groupe nous apporte en Suisse cette capacité à servir des portefeuilles multi-assets dans n’importe quelle juridiction.
Quel est votre historique en Suisse sur ce secteur des caisses de pension?
Il est récent, comme je vous le disais. Mais c’est un secteur que nous connaissons bien. Caceis est présent en Suisse depuis bientôt quinze ans. Nous y avons notamment développé une très forte expertise dans le domaine de l’immobilier. Et nous bénéficions de toutes les ressources du groupe qui est présent aujourd’hui dans 20 pays à travers le monde, en tant qu’asset servicer. Ce sont ces ressources et cette expérience que nous mettons aujourd’hui à la disposition des caisses de pensions suisses.
Quelles sont aujourd’hui les principales attentes des caisses ou des investisseurs institutionnels qui vous approchent?
Les discussions que nous avons avec les caisses sont très orientées sur les coûts. Le contrôle de ces coûts est un facteur essentiel pour elles. Elles cherchent bien évidemment à réduire autant que possible les coûts d’administration ou de gestion de leurs portefeuilles. A propos de ces coûts, il ne faut pas oublier que les méthodes de calcul ne les englobent pas tous. Les caisses attendent donc davantage de transparence, sur des postes comme les marges de taux ou les marges de change. Elles sont beaucoup plus vigilantes.
Et enfin, elle concentrent tous leurs efforts sur la performance. Avec la chute des rendements obligataires, elles doivent adapter leur grille d’allocation et trouver de nouvelles poches de performance. Dans la pratique, c’est la première de leurs priorités.